Franchard Ermitage, le site le plus touristique de la Forêt de Fontainebleau !

Si vous êtes venus à Bleau un jour, vous connaissez forcément les "Gorges de Franchard". Forcément. Ce fut d'ailleurs pendant des années, le seul site indiqué par le panneautage routier ! Ce balisage vous conduisait immanquablement au cœur de la Forêt de Fontainebleau, dans le site le plus historique, celui de l'Ermitage de Franchard.

Conséquence ce site est sans doute l'un des plus artificialisé et fréquenté de notre forêt. Plantations, incendies, travaux de lutte contre l'érosion et l'ouverture du premier centre d'écotourisme d'Ile de France le 5 mai 2011 n'ont fait qu'y attirer d'avantage de monde. C'est pourtant un site exceptionnel, fragile et menacé. Petite réflexion autour du paradoxe de la politique d'accueil à Fontainebleau.


Il suffit de regarder une carte postale de 1900 pour mesurer à quel point les abords de l'Ermitage de Franchard et ses Gorges ont évolué en un peu plus d'un siècle. Mais l'influence des hommes y est bien plus ancienne. 

Petit historique sur ce site remarquable par son évolution mais aussi son artificialisation au cours des siècles...

C'est en 1137, sous Louis VII qu'est bâti le premier Ermitage ! Louis XIV y fera construire un belvédère et détruire l'Ermitage qualifié alors d' "asile de débauche et retraite de voleurs" suite à certains faits divers. A quelques mètres de là, dans les célèbres Gorges, la Roche qui pleure était le théâtre d'un pèlerinage chaque mardi de Pentecôte. Bon nombre de personnes venait ici boire une eau réputée soigner les maux d'yeux mais que les auteurs décrivent comme "ni bonne à boire, ni belle à voire". La forêt n'est encore au XVIIe et XVIIIe qu'un lieu malfamé et dangereux. On ne s'y rend pas par plaisir mais soit dans un but religieux à l'occasion des grands pèlerinages soit pour accompagner le roi à la chasse, ce qui suppose que l'on fait partie d'une certaine élite sociale.

Le premier à lui trouver une fonction plus récréative est sans doute le frère de Louis XIV. En effet, il organisa un pique-nique à l'Ermitage en 1658. Vingt-quarte violons ont accompagné ce déjeuner sur l'herbe rapporté par Mademoiselle de Montpensier dans ses mémoires. Ils y ont même grimpé si l'on en croit son récit ! "Quant on fut arrivé, il lui prit fantaisie de s'aller promener dans les rochers les plus incommodes au monde et où, je crois, il n'avait jamais été que des chèvres. (...) On courut le plus grand risque du monde de se rompre bras et jambes et même de se casser le tête (...) Au retour, on mit le feu à la forêt. Il y eut trois ou quatre arpents d'arbres brûlés." Les débuts des dégradations touristiques sont lancés même s'il faudra attendre le XIXe pour que cette nouvelle fonction récréative de la forêt devienne véritablement populaire.


L'incendie de 1904


Le premier à qualifier Bleau de "romantique" ne pouvait être qu'un poète du cru. Il s'agit de René Richard Castel qui, dans un poème publié en 1805, décrit les nombreux charmes de la forêt avant d'en décrire ..."le lieu le plus romantique"... : l'Ermitage de Franchard comme"...une gorge profonde où l'œil des deux côtés ne voie que des rochers monstrueux." Cet extrait n'a pourtant rien de d'une relation empreinte de romantisme. Les Gorges de Franchard ne sont encore que "monstrueuses" mais le public commence à apprécier cette force naturelle. Elle se rapproche assez d'une autre description du même lieu faite par l'Abbé Guilbet en 1731 dans son livre Description historique du Château, bourg et Forêt de Fontainebleau.

"Les peintures affreuses que les historiens ont fait de la Thébaïde, les antres obscurs qu'ils ont décrits, les profondes cavernes qu'ils ont représentées, ne paroîtront jamais que des crayons imaginaires à qui n'aura pas visité le surprenant désert de Franchard. Une lieuë et demie de chemin, à travers des montagnes escarpées, des sables arides et, de monstrueux et brulants cailloux, annoncent foiblement l'extraordinaire séjour où ils vont se terminer. Des milliers de rochers entassés avec peine, et escarpés comme à l'envi, pour se disputer le plaisir d'arrêter les pas des mortels, et de fixer leurs regards, dérobent toute autre vuë que la région céleste, et forment uniquement le plan, le dessein et les perspectives de cette solitude. Quelques arbres sauvages plantés de loing en loing, et comme rejettés par la terre pour ôter tout abri contre les brulantes ardeurs du soleil, semblent y envier aux humains la foible consolation d'une eau amère et roussatre que filtre à peine l'un des rochers." 

Là encore, on mesure aisément à quel point l'important désert de sable et de rochers des Gorges de Franchard dont l'alignement s'étire jusqu'à Arbonne-la-Forêt, devait être impressionnant vu le peu d'arbres qui venaient boucher la vue.




L'accueil des touristes :

En 1851, on ouvre sur une petite parcelle de 33 ares, le premier restaurant de Franchard que son propriétaire loue pour un loyer de 350 francs annuel ! Cette concession va changer de mains à diverses reprises et en 1869, elle occupe 1,27 ha pour un loyer de 1 500 francs auquel s’ajoutent les salaires de 50 journées d'ouvrier pour l'entretien du site. Le développement du tourisme forestier s'accompagnera d'ailleurs d'une prolifération de buvettes plus ou moins sophistiquées que l'on peut voire sur les cartes postales du début du XXe siècle. Elles s'installent non loin des curiosités les plus recherchées. Ainsi la Caverne aux Brigands à Apremont, le Chêne Jupiter ou la Roche Eponge sont cernés de bancs et tables de bois qu'exploitent habilement de petits marchands. Celle de la Roche Eponge ne fermera ses portes qu’en 1940 !

Ce restaurant, en 1891,sert de base de départ à un service de guides comme le rapporte encore Madame Colinet dans la 43e édition de L'indicateur : "C'est en ce point que se tiennent les guides conduisant dans les gorges de Franchard. Ces guides doivent être porteurs de brassards numérotés et de livrets sur lesquels les touristes peuvent consigner leurs plaintes. Ils doivent avoir une tenue convenable, être polis et prévenants. On se contente ordinairement de leur donner un pourboire. (Extrait de l'arrêté du 18 août 1887)". Ce restaurant fut détruit par les flammes.

L'Arboretum :


Le site a aussi connu plusieurs gros incendies dont le dernier, celui de 1973, permit la création de l'arboretum. A l’époque, c’est 25 000 plants qui avaient été introduits ici. Mais des maladies, la sécheresse ou le gel ont fait disparaître plusieurs essences rares comme le cèdre du Liban, l’eucalyptus ou le pin parasol. En mauvais état, le site a fait l'objet d'une vaste opération le 24 mars 2013 pour le mettre en valeur. Outre les sévices du temps, il était aussi victime de plantes invasives comme le cerisier (dont on parlait ici) !

C'est donc 150 scouts de France ont prêté mains fortes aux forestiers pour déraciner le Prunus serotina, arbre arrivé en France voilà vingt-cinq ans et qui commence à envahir le massif, comme le célèbre Phytolaque. D’autres ont scié les pins, eux aussi très invasifs.

« Tout est découpé en petites bûches. Cela va servir à fabriquer de l’aggloméré ou des plaquettes de bois pour les chaudières », confiait alors Victor Avenas, responsable du projet Fontainebleau, forêt d’exception à l’Office des forêts. « Nous voulons restaurer cet arboretum et y recréer un sentier éducatif, d’ici à 2014 », indiquait Victor Avenas.

En 2003, sur l'initiative l’agence de développement touristique de Seine-et-Marne est lancé le premier centre d'écotourisme d'Ile-de-France. L'idée : « recréer un équipement permettant de travailler la sensibilisation et la pédagogie auprès des touristes ». A l’époque, il n’y avait pas d’exemple en France, mais un projet similaire existait en Angleterre : The New Forest. Les anglais ont pris le parti de proposer des hébergements en sus des objectifs de sensibilisation et de pédagogie. Le dossier pour monter le Centre Ecotouristique de Franchard était difficile dans la mesure où de nombreux acteurs (département, Office National des Forêts, région…) étaient concernés. En revanche, il était plus facile d’un point de vue politique car l’ensemble des acteurs étaient favorables au projet et à son mode de fonctionnement.

Ouvert depuis le 5 mai 2011, l'ADT77, Seine et Marne Tourisme et ses partenaires ont inauguré le premier centre d’écotourisme régional à quelques mètres des ruines de l'ancien ermitage.


Ce lieu novateur a été conçu pour :
- informer les visiteurs sur l’ensemble des sites naturels, culturels et historiques accessibles au public aux abords de la foret et à travers l’Ile-de-France afin de mieux repartir les flux touristiques et prévenir les impacts humains trop importants sur le site.
- orienter les adeptes des découvertes nature et des loisirs de plein air vers d'autres sites franciliens qui offrent des conditions maximales pour leurs pratiques.
- sensibiliser les visiteurs à la fragilité des milieux naturels et à la sauvegarde des paysages, de la flore et de la faune
- valoriser les paysages, les visites de découverte de la nature et la démarche touristique éco-responsable et durable...
« Notre objectif est d’améliorer la gestion des flux de visiteurs dans la forêt en les informant des autres départs de promenade possibles; d'autant plus qu’environ 70 % des visiteurs ne s’éloignent pas à plus de 200 mètres de leurs véhicules ! Nous les sensibilisons également en distribuant des chartes spécifiques des différents publics et en les incitant à se munir d’une carte de la forêt lors de leur promenade. La forêt a une superficie de 20.000 ha, mais ce n’est pas toujours présent dans l’esprit de nos visiteurs ». 

Franchard Ermitage : le site de tous les paradoxes de Fontainebleau !

Le site de Franchard est donc un des plus fréquentés depuis des siècles. Une fréquentation qui n'est pas sans conséquences. Ainsi, la Commission érosion et les techniciens forestiers sont intervenus à de nombreuses reprises pour tenter d'enrayer la catastrophique érosion du site notamment aux abords de la Roche qui pleure, employant parfois les grands moyens : le glissement de blocs !

Ils ont paradoxalement organisé et encouragé cette fréquentation en réaménageant le parking qui affiche toujours complets lors des pics de fréquentation printaniers ou en implantant ce centre d'éco-tourisme !

Même si un grand nombre de visiteurs dominicaux ne s'éloignent que très peu de leur véhicule (par peur du vol ou de se perdre...) et pique - niquent à quelques mètres des voitures et ne pénètrent donc pas véritablement dans les zones sensibles de la forêt, l'érosion sur le site est toujours bien visible.

L'ONF a donc parfois pris des décisions contradictoires lui donnant l'apparence d'un serpent qui se mord la queue ! En effet, outre les actions déjà citées, l'office a aussi créé de nouveaux sentiers (boucles de promenades courtes et détournements des balisages existants) pour canaliser les flux de visiteurs. Hélas, ces aménagements ont souvent pour conséquence de concentrer d'avantage la fréquentation en attirant plus de visiteurs au même endroit au risque d'accroître encore la pression dans la zone sans avoir les moyens financiers pour faire de nouveaux travaux.

Il est vrai qu'il est plus facile de n'avoir que quelques points à entretenir que l'ensemble d'un site mais les investissements sont obligatoirement plus lourds ! Ainsi compte tenu de ces aménagements finalement très attractifs, les abords de la Roche qui Pleure ou de la Caverne aux Brigands (Apremont) resteront forcément les lieux les plus fréquentés et les plus menacés de Bleau. On peut naturellement s'interroger sur les bénéfices à long terme de cette politique de concentration des touristes aux points chauds de la forêt. N'aurait il pas mieux valu organiser la diffusion du public dans le milieu forestier. Un point de vue que semble partager le Conseil Général de Seine-et-Marne, qui, avec l'aide des associations, a pu infléchir la politique de panneautage routier depuis 2006. Ainsi, de nouveaux panneaux indiquent désormais des sites moins connus... Hélas cette orientation supposerait plus de moyens humains et financiers pour surveiller l'ensemble du massif.

Ouvert jusqu’au 11 novembre, tous les mercredis de 10h30 à 18h30 et les week-ends et jours fériés, de 12h30 à 18h30. Mais il peut aussi ouvrir d’autres jours en semaine, selon le programme des manifestations. Rens. au 01.60.71.11.08 ou sur www.tourisme77.fr.





En savoir plus :

http://www.tourisme77.fr/ecotourisme/seine-et-marne-ecotourisme.asp

Le sentier bleu n°7 par Olivier Blaise
et sur le tout nouveau site de notre ami photographe Jean Paul !

Connaissez-vous l'histoire de la Caverne aux Brigands des Gorges d'Apremont ?

Quel visiteur n'a jamais entendu parler de la Caverne aux (des) brigands ?


Située dans les Gorges d'Apremont, non loin du village de Barbizon, elle se découvre en suivant le sentier bleu Denecourt n°6. 


Son histoire mêle légende et fait dramatique. Voici donc un petit tour d'horizon des différentes publications autour de cette célèbre roche de notre patrimoine pour en savoir un peu plus. La caverne des brigands est donc située sur la parcelle 713. Il s'agit d'un passage sous la platière sommitale aménagé et élargi par Claude-François Denecourt probablement en 1844, date de son apparition sur les cartes forestières notamment celle dressée par Denecourt et Hardy en 1844). Denecourt, personnage atypique créateur des premiers sentiers touristiques (mais pas le seul) ne s'arrêtait pas à l'aménagement de ses sentiers. Il batissait autour des éléments les plus remarquables de véritables légendes quand celles-ci n'existaitent pas. C'est ce qui fit ici et, selon sa légende, sous le règne de Louis XV, la grotte aurait servi de repaire à une bande d'assassins, dont le chef était un dénommé Tissier.
Aisément accessible, elle constitue depuis cette époque un lieu très fréquenté de la forêt. Le limmonadier qui exploitait la buvette installée tout autour sur la platière était probablement le seul à connaître l'histoire de cette légende et on peut s'interroger s'il n'avait pas compris avant l'heure les principes du marketing ! Créée en 1857, la buvette sera exploité jusqu'à la Seconde guerre mondiale mais un petit chalet, en bas de la pente a pris le relais !

A cette époque, la forêt était aussi exploité par des guides, rémunérés aux pourboires, et qui, comme en montagne, avaient leur carnet de courses où les visiteurs inscrivaient leurs éloges ou reproches (pratique signalée de 1910 à 1950).
Aujourd'hui, le lieu est plus tranquille mais reste très fréquenté les week end. L'entrée de la grotte s'est partiellement comblée et il est devenu presque impossible de sortir par la deuxième issue... (à priori ce n'est plus le cas, voir dans les commentaires de l'article)




Mais l'histoire rattrape parfois les légendes ! En 1937, la grotte devient une véritable scène de crime, celui du meurtre de Janine Keller par Eugène Weidmann. Un meurtrier devenu célèbre car il est le dernier condamné à mort français à être exécuté en public le 17 juin 1939.

Un lieu si célèbre ne pouvait bien évidemment échapper aux photographes du début du XXe siècle et l'on trouve donc de nombreuse cartes postales de l'endroit.
Outre cette histoire, un autre ouvrage parle de cette drôle de Grotte. Il s'agit d'un livre rare : , édité en 1878, par Jules Hetzel !


Jules Hetzel (1814-1886) est, comme Denecourt, un précurseur. Editeur, photographe et auteur à ses jours, c'est à lui que l'on doit les premières publications périodiques pour la jeunesse ! Il s'associa avec Jules Verne avec qui il créa le "magasin d'éducation et de recréation -journal pour toute la famille-" sous le nom de "J.P. STAHL". Cette collection avait pour objectif la parution régulière d'ouvrages divers classés par genres et par tranches d'âges des lecteurs.
Pour Les Petits Robinsons de Fontainebleau, Hetzel, fit exécuter par Méaulle (célèbre pour ses illustrations des "Travailleurs de la mer" de Victor Hugo,) des gravures d'après ses propres clichés de la forêt de Fontainebleau (à l'époque, les plaques photographiques ne pouvaient pas servir à l'impression !) Ces clichés comptent donc parmi les plus anciens de cette forêt avec ceux de Cuvelier (1974).

Comme beaucoup d'auteurs de l'époque, Hetzel misait très certainement sur la célébrité des paysages de Fontainebleau pour assurer le succès commercial du livre. En voici quelques extraits... :






"Avertissement (de l'auteur)
Le but des auteurs de ce petit livre n'a pas été seulement de raconter les aventures de Pierre et de Jean dans la forêt de Fontainebleau, mais de tirer parti de ces aventures mêmes pour faire passer sous les yeux de nos lecteurs les points les plus remarquables de la célèbre forêt. Pour y arriver, il n'a pas toujours été possible de suivre un itinéraire logique, Pierre et Jean auraient eu trop à faire si leurs courses avaient dû les conduire partout à la fois dans la même journée, dans une forêt qui ne comprend pas moins de 8o kilomètres de circonvallation et 200 myriamètres de routes, chemins et sentiers se croisant, s'entremêlant et se dirigeant dans tous les sens.Ce n'est point la carte en main qu'on suivra un itinéraire qui est forcément de fantaisie et n'a pu tenir aucun compte des distances réelles.
Ce qui n'est pas de fantaisie, c'est`d'une part le fond même de la petite histoire que nous offrons à nos jeunes lecteurs, et ce qui est vrai d'une incontestable vérité, c'est la représentation des vingt-deux points de la forêt que, nous mettons sous leurs yeux. Ils ont été gravés, par M. J. Méaulle, deux d'après deux compositions de Bodmer et vingt d'après des photographies prises sur nature dont nous pouvons certifier l'exactitude.
STAHL .


Chapitre XVI
Il faut leur rendre cette justice qu'ils prirent leur course comme si leurs jambes n'avaient eu jusque-là aucune fatigue à endurer. Arrivés à cent pas de la chaîne des rochers qu'ils avaient en vue, Pierre déclara à Jean qu'il apercevait un grand trou,, une grande excavation dans les roches, et que, pour le coup, ils pourraient bien avoir à eux tout seuls une grotte cent fois; plus belle que celle que Robinson avait jamais pu découvrir dans son île.
Mais il y avait entre eux et Robinson cette différence que personne ne pouvait disputer à Robinson l'usage de sa grotte dans son île, puisqu'elle était pour de bon déserte, tandis qu'à l'entrée de leur future caverne les deux enfants aperçurent soudain, et non sans épouvante, un grand homme a grande barbe et de très-mauvaise mine, qui tout d'un coup s'était posté à l'entrée comme pour la barrer à tout autre.
Un homme de cet aspect là ne pouvait bien sûr être qu'un malfaiteur ; les deux enfants terrifiés ne pensèrent plus à rien sinon à se dérober à sa vue, et contournant les rochers d'un mouvement rapide, ils prirent à revers les fameuses grottes d'Apremont car tout nous porte à croire que ce sont ces grottes-là qui donnaient asile à l'homme à air farouche qui les avait tant alarmés, et que le brigand de Pierre et Jean n'était autre qu'un braconnier surpris comme eux par ce déluge.



Chapitre XIX
Marie le regarda avec un air de surprise qui se changea en une sorte de colère quand elle les eut reconnus.
" Je pleure, leur répondit-elle d'une voix brève, je pleure parce que les deux plus méchants écoliers de mon père se sont enfuis de leur maison et que mon père a voulu se joindre à leurs parents pour battre la forêt et les retrouver. Tout le pays est en émoi rien que pour eux. Les gens qui sont à leur recherche et mon père qui est à leur tête sont convenus qu'après avoir fouillé jusqu'ici ils se retrouveraient, à une heure qui est à présent bien passée, près de l'entrée de la caverne des Brigands. Inquiète pour mon père parce que l'orage était dans l'air, j'ai obtenu de lui d'aller l'attendre au rendez-vous. Il y a deux heures que je l'attends ; s'il n'est pas là, lui toujours si exact, c'est qu'il lui est arrivé malheur. Voilà pourquoi je pleure, et vous savez la faute à qui si j'ai une raison pour pleurer."
Pierre et Jean baissèrent la tête devant ces reproches mérités. Mais Pierre sentit que la seule manière de bien montrer son repentir, c'était de tout faire pour réparer sa faute. Il obtint de Marie quelques explications sur le chemin qu'avait pu suivre M. Patoche et se mit en route avec Jean, très-décidé à le ramener à sa fille.
En les voyant partir, la pauvre Marie remua la tête de l'air d'une personne qui n'espérait rien de tels auxiliaires.
" La pluie a rendu les rochers glissants, se disait-elle. Père, qui ne craint jamais rien, aura été trop prompt, trop hardi. Pour qu'il ne soit pas là quand il sait que je l'y attends, il faut qu'il ait fait une chute grave. Ah ! si je ne lui avais pas promis de ne pas bouger d'ici, il y a longtemps que je serais à sa recherche."
Malheureusement les pressentiments de la pauvre Marie ne l'avaient pas trompée. Pierre et Jean n'avaient pas fait deux cents pas de l'autre côté des rochers qu'ils aperçurent le corps inanimé de M. Patoche au pied d'un grand rocher (la Roche qui pleure).


Chapitre XXII et fin
Cinq minutes après, M. Patoche arrivait non pas dans la charrette, mais porté à bras sur une litière. Pendant que Pierre et Jean étaient allés prévenir Marie, les gens de .Bois-le-Roi, le père et la mère de Pierre qui croyaient .rejoindre M. Patoche à la caverne des Brigands, l'avaient rencontré bien embarrassé de se hisser sur la charrette, et tous avaient déclaré qu'il valait mieux qu'il fit le trajet sur une litière, où il n'aurait pas à craindre d'être secoué comme il l'eût été en voiture. On remercia le brave charretier .et on s'achemina, en passant par Barbizon, vers Bois-le-Roi.
Pierre et Jean suivaient en pleurant M. Patoche qui ne parvenait pas à les consoler.
" Non, non, s'écriaient-ils à qui mieux mieux, si vous souffrez, c'est notre faute!
- Si Nous vous corrigez, répondait le brave M. Patoche, je remercierai Dieu de m'avoir envoyé, mon entorse."
Au bout d'un mois, M. Patoche, qui les avait eus pour gardes-malades, s'applaudissait de la conduite de ses deux élèves. Il affirmait au père de Pierre que son ; fils et son neveu seraient chacun à sa façon, de braves garçons, en quoi il ne se trompait pas. Pierre ne pense plus à être Robinson, il ne menace plus Jean de le traiter, comme un Nègre ; mais son amour des bois lui est resté il est devenu un de nos plus célèbres paysagistes, et Jean est à l'heure qu'il, est le fermier le plus huppé de la contrée. Il aime la terre pour la cultiver et les bois pour les aménager et en tirer de bons produits - en quoi il ne faut pas le blâmer - car si l'art est beau, l'industrie est utile. C'est à chacun de ne pas se tromper sur sa vocation et d'aller soit à l'un, soit à l'autre, selon ses aptitudes.





Sources (sélection) :
dictionnaire historique et artistique de la forêt de Fontainebleau / Herbet, 1903 en ligne sur le site de l'AAFF.
Fontainebleau : une forêt de légendes et de mystères / Hervet et Mérienne, 2004.
Guide Joanne, 1857, 1910.
Guide bleu, 1950.
Les petits Robinsons de Fontainebleau / par Hetzel, illustré par Méaulle, 1878 en ligne sur le site de l'AAFF