Franchard Ermitage, le site le plus touristique de la Forêt de Fontainebleau !

Si vous êtes venus à Bleau un jour, vous connaissez forcément les "Gorges de Franchard". Forcément. Ce fut d'ailleurs pendant des années, le seul site indiqué par le panneautage routier ! Ce balisage vous conduisait immanquablement au cœur de la Forêt de Fontainebleau, dans le site le plus historique, celui de l'Ermitage de Franchard.

Conséquence ce site est sans doute l'un des plus artificialisé et fréquenté de notre forêt. Plantations, incendies, travaux de lutte contre l'érosion et l'ouverture du premier centre d'écotourisme d'Ile de France le 5 mai 2011 n'ont fait qu'y attirer d'avantage de monde. C'est pourtant un site exceptionnel, fragile et menacé. Petite réflexion autour du paradoxe de la politique d'accueil à Fontainebleau.


Il suffit de regarder une carte postale de 1900 pour mesurer à quel point les abords de l'Ermitage de Franchard et ses Gorges ont évolué en un peu plus d'un siècle. Mais l'influence des hommes y est bien plus ancienne. 

Petit historique sur ce site remarquable par son évolution mais aussi son artificialisation au cours des siècles...

C'est en 1137, sous Louis VII qu'est bâti le premier Ermitage ! Louis XIV y fera construire un belvédère et détruire l'Ermitage qualifié alors d' "asile de débauche et retraite de voleurs" suite à certains faits divers. A quelques mètres de là, dans les célèbres Gorges, la Roche qui pleure était le théâtre d'un pèlerinage chaque mardi de Pentecôte. Bon nombre de personnes venait ici boire une eau réputée soigner les maux d'yeux mais que les auteurs décrivent comme "ni bonne à boire, ni belle à voire". La forêt n'est encore au XVIIe et XVIIIe qu'un lieu malfamé et dangereux. On ne s'y rend pas par plaisir mais soit dans un but religieux à l'occasion des grands pèlerinages soit pour accompagner le roi à la chasse, ce qui suppose que l'on fait partie d'une certaine élite sociale.

Le premier à lui trouver une fonction plus récréative est sans doute le frère de Louis XIV. En effet, il organisa un pique-nique à l'Ermitage en 1658. Vingt-quarte violons ont accompagné ce déjeuner sur l'herbe rapporté par Mademoiselle de Montpensier dans ses mémoires. Ils y ont même grimpé si l'on en croit son récit ! "Quant on fut arrivé, il lui prit fantaisie de s'aller promener dans les rochers les plus incommodes au monde et où, je crois, il n'avait jamais été que des chèvres. (...) On courut le plus grand risque du monde de se rompre bras et jambes et même de se casser le tête (...) Au retour, on mit le feu à la forêt. Il y eut trois ou quatre arpents d'arbres brûlés." Les débuts des dégradations touristiques sont lancés même s'il faudra attendre le XIXe pour que cette nouvelle fonction récréative de la forêt devienne véritablement populaire.


L'incendie de 1904


Le premier à qualifier Bleau de "romantique" ne pouvait être qu'un poète du cru. Il s'agit de René Richard Castel qui, dans un poème publié en 1805, décrit les nombreux charmes de la forêt avant d'en décrire ..."le lieu le plus romantique"... : l'Ermitage de Franchard comme"...une gorge profonde où l'œil des deux côtés ne voie que des rochers monstrueux." Cet extrait n'a pourtant rien de d'une relation empreinte de romantisme. Les Gorges de Franchard ne sont encore que "monstrueuses" mais le public commence à apprécier cette force naturelle. Elle se rapproche assez d'une autre description du même lieu faite par l'Abbé Guilbet en 1731 dans son livre Description historique du Château, bourg et Forêt de Fontainebleau.

"Les peintures affreuses que les historiens ont fait de la Thébaïde, les antres obscurs qu'ils ont décrits, les profondes cavernes qu'ils ont représentées, ne paroîtront jamais que des crayons imaginaires à qui n'aura pas visité le surprenant désert de Franchard. Une lieuë et demie de chemin, à travers des montagnes escarpées, des sables arides et, de monstrueux et brulants cailloux, annoncent foiblement l'extraordinaire séjour où ils vont se terminer. Des milliers de rochers entassés avec peine, et escarpés comme à l'envi, pour se disputer le plaisir d'arrêter les pas des mortels, et de fixer leurs regards, dérobent toute autre vuë que la région céleste, et forment uniquement le plan, le dessein et les perspectives de cette solitude. Quelques arbres sauvages plantés de loing en loing, et comme rejettés par la terre pour ôter tout abri contre les brulantes ardeurs du soleil, semblent y envier aux humains la foible consolation d'une eau amère et roussatre que filtre à peine l'un des rochers." 

Là encore, on mesure aisément à quel point l'important désert de sable et de rochers des Gorges de Franchard dont l'alignement s'étire jusqu'à Arbonne-la-Forêt, devait être impressionnant vu le peu d'arbres qui venaient boucher la vue.




L'accueil des touristes :

En 1851, on ouvre sur une petite parcelle de 33 ares, le premier restaurant de Franchard que son propriétaire loue pour un loyer de 350 francs annuel ! Cette concession va changer de mains à diverses reprises et en 1869, elle occupe 1,27 ha pour un loyer de 1 500 francs auquel s’ajoutent les salaires de 50 journées d'ouvrier pour l'entretien du site. Le développement du tourisme forestier s'accompagnera d'ailleurs d'une prolifération de buvettes plus ou moins sophistiquées que l'on peut voire sur les cartes postales du début du XXe siècle. Elles s'installent non loin des curiosités les plus recherchées. Ainsi la Caverne aux Brigands à Apremont, le Chêne Jupiter ou la Roche Eponge sont cernés de bancs et tables de bois qu'exploitent habilement de petits marchands. Celle de la Roche Eponge ne fermera ses portes qu’en 1940 !

Ce restaurant, en 1891,sert de base de départ à un service de guides comme le rapporte encore Madame Colinet dans la 43e édition de L'indicateur : "C'est en ce point que se tiennent les guides conduisant dans les gorges de Franchard. Ces guides doivent être porteurs de brassards numérotés et de livrets sur lesquels les touristes peuvent consigner leurs plaintes. Ils doivent avoir une tenue convenable, être polis et prévenants. On se contente ordinairement de leur donner un pourboire. (Extrait de l'arrêté du 18 août 1887)". Ce restaurant fut détruit par les flammes.

L'Arboretum :


Le site a aussi connu plusieurs gros incendies dont le dernier, celui de 1973, permit la création de l'arboretum. A l’époque, c’est 25 000 plants qui avaient été introduits ici. Mais des maladies, la sécheresse ou le gel ont fait disparaître plusieurs essences rares comme le cèdre du Liban, l’eucalyptus ou le pin parasol. En mauvais état, le site a fait l'objet d'une vaste opération le 24 mars 2013 pour le mettre en valeur. Outre les sévices du temps, il était aussi victime de plantes invasives comme le cerisier (dont on parlait ici) !

C'est donc 150 scouts de France ont prêté mains fortes aux forestiers pour déraciner le Prunus serotina, arbre arrivé en France voilà vingt-cinq ans et qui commence à envahir le massif, comme le célèbre Phytolaque. D’autres ont scié les pins, eux aussi très invasifs.

« Tout est découpé en petites bûches. Cela va servir à fabriquer de l’aggloméré ou des plaquettes de bois pour les chaudières », confiait alors Victor Avenas, responsable du projet Fontainebleau, forêt d’exception à l’Office des forêts. « Nous voulons restaurer cet arboretum et y recréer un sentier éducatif, d’ici à 2014 », indiquait Victor Avenas.

En 2003, sur l'initiative l’agence de développement touristique de Seine-et-Marne est lancé le premier centre d'écotourisme d'Ile-de-France. L'idée : « recréer un équipement permettant de travailler la sensibilisation et la pédagogie auprès des touristes ». A l’époque, il n’y avait pas d’exemple en France, mais un projet similaire existait en Angleterre : The New Forest. Les anglais ont pris le parti de proposer des hébergements en sus des objectifs de sensibilisation et de pédagogie. Le dossier pour monter le Centre Ecotouristique de Franchard était difficile dans la mesure où de nombreux acteurs (département, Office National des Forêts, région…) étaient concernés. En revanche, il était plus facile d’un point de vue politique car l’ensemble des acteurs étaient favorables au projet et à son mode de fonctionnement.

Ouvert depuis le 5 mai 2011, l'ADT77, Seine et Marne Tourisme et ses partenaires ont inauguré le premier centre d’écotourisme régional à quelques mètres des ruines de l'ancien ermitage.


Ce lieu novateur a été conçu pour :
- informer les visiteurs sur l’ensemble des sites naturels, culturels et historiques accessibles au public aux abords de la foret et à travers l’Ile-de-France afin de mieux repartir les flux touristiques et prévenir les impacts humains trop importants sur le site.
- orienter les adeptes des découvertes nature et des loisirs de plein air vers d'autres sites franciliens qui offrent des conditions maximales pour leurs pratiques.
- sensibiliser les visiteurs à la fragilité des milieux naturels et à la sauvegarde des paysages, de la flore et de la faune
- valoriser les paysages, les visites de découverte de la nature et la démarche touristique éco-responsable et durable...
« Notre objectif est d’améliorer la gestion des flux de visiteurs dans la forêt en les informant des autres départs de promenade possibles; d'autant plus qu’environ 70 % des visiteurs ne s’éloignent pas à plus de 200 mètres de leurs véhicules ! Nous les sensibilisons également en distribuant des chartes spécifiques des différents publics et en les incitant à se munir d’une carte de la forêt lors de leur promenade. La forêt a une superficie de 20.000 ha, mais ce n’est pas toujours présent dans l’esprit de nos visiteurs ». 

Franchard Ermitage : le site de tous les paradoxes de Fontainebleau !

Le site de Franchard est donc un des plus fréquentés depuis des siècles. Une fréquentation qui n'est pas sans conséquences. Ainsi, la Commission érosion et les techniciens forestiers sont intervenus à de nombreuses reprises pour tenter d'enrayer la catastrophique érosion du site notamment aux abords de la Roche qui pleure, employant parfois les grands moyens : le glissement de blocs !

Ils ont paradoxalement organisé et encouragé cette fréquentation en réaménageant le parking qui affiche toujours complets lors des pics de fréquentation printaniers ou en implantant ce centre d'éco-tourisme !

Même si un grand nombre de visiteurs dominicaux ne s'éloignent que très peu de leur véhicule (par peur du vol ou de se perdre...) et pique - niquent à quelques mètres des voitures et ne pénètrent donc pas véritablement dans les zones sensibles de la forêt, l'érosion sur le site est toujours bien visible.

L'ONF a donc parfois pris des décisions contradictoires lui donnant l'apparence d'un serpent qui se mord la queue ! En effet, outre les actions déjà citées, l'office a aussi créé de nouveaux sentiers (boucles de promenades courtes et détournements des balisages existants) pour canaliser les flux de visiteurs. Hélas, ces aménagements ont souvent pour conséquence de concentrer d'avantage la fréquentation en attirant plus de visiteurs au même endroit au risque d'accroître encore la pression dans la zone sans avoir les moyens financiers pour faire de nouveaux travaux.

Il est vrai qu'il est plus facile de n'avoir que quelques points à entretenir que l'ensemble d'un site mais les investissements sont obligatoirement plus lourds ! Ainsi compte tenu de ces aménagements finalement très attractifs, les abords de la Roche qui Pleure ou de la Caverne aux Brigands (Apremont) resteront forcément les lieux les plus fréquentés et les plus menacés de Bleau. On peut naturellement s'interroger sur les bénéfices à long terme de cette politique de concentration des touristes aux points chauds de la forêt. N'aurait il pas mieux valu organiser la diffusion du public dans le milieu forestier. Un point de vue que semble partager le Conseil Général de Seine-et-Marne, qui, avec l'aide des associations, a pu infléchir la politique de panneautage routier depuis 2006. Ainsi, de nouveaux panneaux indiquent désormais des sites moins connus... Hélas cette orientation supposerait plus de moyens humains et financiers pour surveiller l'ensemble du massif.

Ouvert jusqu’au 11 novembre, tous les mercredis de 10h30 à 18h30 et les week-ends et jours fériés, de 12h30 à 18h30. Mais il peut aussi ouvrir d’autres jours en semaine, selon le programme des manifestations. Rens. au 01.60.71.11.08 ou sur www.tourisme77.fr.





En savoir plus :

http://www.tourisme77.fr/ecotourisme/seine-et-marne-ecotourisme.asp

Le sentier bleu n°7 par Olivier Blaise
et sur le tout nouveau site de notre ami photographe Jean Paul !

Petite histoire des carrières

Nul besoin d'être un grand observateur pour trouver dans le massif forestier de Fontainebleau et ses satellites des traces de la présence des carriers ! Si les grimpeurs imaginent souvent le nombre de beaux rochers qu'ils ont réduit en pavés, on peut quand même les remercier pour quelques très beaux passages que nous leur devons. En complément d'une visite du sentier de découverte dont parlait la TL2B, des films et de quelques rares témoignages sur ce dur métier, nous vous proposons de revenir sur un excellent article écrit par Didier Roger avec la complicité de Thierry Szubert et de bien d'autres amis de la forêt tels que Ghyslaine, Jean-Pierre, Emmanuel et Christine. Nous l'avons un peu transformé. Ce patrimoine des carrière fait l'objet de toute l'attention de nos amis de l'AAFF qui a d'ailleurs une Commission spéciale sur le sujet !

Aujourd'hui, c'est avec une certaine nostalgie que nous croisons les nombreux vestiges de ce passé industriel. Sous leur épaisse couche d'humus et de mousse, on devine bien encore, ces murs, ravelins ou chaises d'écales, ces gros blocs de rochers débités en boites à coins et encore debout, ces vieux chemins d'accès en pentes avec leurs remblais, et ces refuges de pierres. Ils nous semblent toujours attendre le retour improbable des ouvriers qui les ont abandonnés un jour de 1907 ou de 1983...

Il faut parfois beaucoup d'imagination pour deviner qu'en ces lieux aujourd'hui si paisibles, il n'y a pas si longtemps encore, tout n'était que chaos indescriptible. Le paysage y ressemblait à un champ de bataille de la première guerre mondiale, lardé de tranchées et labouré de trous d'obus. La végétation y avait disparu, les roches étaient à nu, défigurées, bouleversées méthodiquement, sous les coups précis et assourdissants des grosses masses des carriers frappant les coins de fer dans les blocs ou par les terribles détonations des mines explosant les roches. Et l'on se prend à croire que si tout cela avait pu perdurer impunément, la forêt de Fontainebleau ne serait peut-être finalement plus de nos jours, qu'une platitude forestière, jonchée d'amoncellements de cailloux et parsemée de crevasses... 
Ancien abri de carriers détruit par le passage des engins forestiers !

Histoire d'une industrie disparue :


On a évoqué la géologie du site et ses bancs gréseux de différentes duretés. Au XIIe siècle et pour de longues années encore, les voies de communication française sont constitué de chemins boueux, pierreux ou chaotiques. Dans Paris, comme dans les autres villes, Ies chaussées n’étaient pas pavées, sauf pour quelques rares axes principaux ou sur certains carrefours. Le plus souvent, les rues étaient recouvertes d’une simple couche stabilisante, constituée d’un mélange de terre, d’argile, de sable et de caillasse, parfois complétées par des rigoles axiales en pierre. De plus, les intempéries et le "tout à la rue" provenant des maisons qui les bordaient, se déversant à même la chaussée, les inondaient, puis les transformaient en véritables bourbiers impraticables et nauséabonds. Sous le règne du roi Louis XIII, la moitié seulement des rues de Paris étaient pavées. Il fallut attendre le courant du XIXème siècle pour qu’elles soient -enfin- toutes pavées et doublées de conduits d’évacuations des eaux usées, par des égouts souterrains !

Si quelques pavés ont donc été retiré de la forêt avant le XIIe, ne serait-ce pour la construction, cette exploitation n’est attestée cependant pour la première fois qu’en 1184, par une Ordonnance Royale qui autorisait -sous certaines conditions- l’ouverture par adjudications, de carrières en certains lieux du massif, là où se trouvaient des bancs de grès. Cette Ordonnance précédait un Édit promulgué un an plus tard par le roi Philippe-Auguste, exigeant le pavage de toutes les rues de Paris.

Ce besoin de pavage, mais aussi la construction de bâtiments, de ponts, et l'amélioration des routes permit de faire vivre des générations de carriers et leurs familles durant plusieurs siècles dans tout le Gâtinais Français.
Ouvriers dans une carrière de Fontainebleau
Le Pifomètre

Dans la vallée de l'Essonne et le massif forestier de Fontainebleau, on trouve principalement du grès de type dit "blanc", c'est à dire composé de silice très pure. Ce grès était divisé en trois qualités différentes : le célèbre "pif", "paf", "pouf" correspondant au pifomètre des carriers. Ces dénominations proviennent du son que la roche émet lorsqu'elle est frappée :

Le grès "pif" est le plus dur. Il est dit "vif" ou "noble". Il servait principalement à la construction de bâtiments. On le trouve notamment dans le massif du Mont Ussy, dont les pierres servirent à construire le premier château de Fontainebleau, et certaines parties de l'édifice actuel, notamment : le grand escalier, les linteaux des portes et des fenêtres ou le pavage des cours. C'est un des plus difficile à travailler.Le grès "paf", ou "franc" est le plus courant dans le massif de Fontainebleau. De très bonne bonne qualité, il était utilisé pour les constructions et le pavage.

Le grès dit "pouf" dit "maigre" ou "mou" est très mauvaise qualité, car insuffisamment solidifié. C'est notamment celui que l'on trouve dans le sud de la forêt, notamment à Larchant. Il peut se retrouver très friable par endroits. Il n’était utilisé que pour l’édification de murs de délimitation, de bordures de trottoirs ou pour le pavage de voies secondaires.

Il existe également une quatrième qualité de grès -assez rare dans la région- appelée "royale". Ce grès, qui a la propriété d'être à la fois tendre et ferme, est idéal pour la réalisation de sculptures.

L'âge d'or


L’exploitation des carrières de Fontainebleau s’intensifia considérablement à partir des XVIe et XVIIe siècles ; dans un premier temps uniquement autour de la ville d’Avon. Puis, devant la demande importante, elle s’étendit petit à petit dans l’ensemble du domaine, d'abord essentiellement dans les chaos rocheux puis sur les platières. A partir de la fin du XVIIIe siècle et au début du Premier Empire, les carrières s'étendent au Sud de la ville de Fontainebleau (Haut Mont, Rocher Boulin...) devant le besoin sans cesse croissant de pavés pour la capitale.

L'industrie arriva à son apogée dans les années 1840. On comptait alors -selon les sources- entre 1000 et 2000 ouvriers permanents et saisonniers (journaliers, fermiers, bûcherons...) dans tout le massif. Les carrières étaient si nombreuses, que l’on ouvrit alors de nouvelles veines dites "ouvertes" situées sous l’humus du tapis forestier, au dessous des platières, mais aussi dans la plaine forestière. Les carriers extrayaient à cette époque entre trois et quatre millions de pavés par an, qui étaient ensuite déposés sur des tombereaux, et conduits en des points de stockage. Puis ils étaient chargés sur de lourds charrois et acheminés sur des routes pavées (dont certaines sont encore visibles), principalement à destination du port de Valvins à Fontainebleau et de celui du port dit des "Pavés de la Cave" à Bois-Le-Roi. De là, ils étaient transbordés sur des barges et des péniches et expédiés pour l’essentiel à Paris.



Dans les massifs des Etroitures, du Long Rocher et du Restant du Long Rocher se trouvaient de grandes exploitations, ouvertes dès les années 1820. Et, afin d’évacuer plus rapidement les quantités énormes de pavés débités, les entrepreneurs eurent l’idée de faire construire une petite ligne ferrée à voie étroite sur plan incliné, ouverte en 1837. Une fois taillés, les pavés étaient chargés dans des wagonnets stationnés en haut de l'amas rocheux en exploitation. Les wagonnets étaient ensuite descendus le long de la pente sur une distance de 900 m environ à l'aide de câbles actionnés par une machine à vapeur. Puis les pavés étaient transbordés sur des charrois jusqu'au canal du Loing. De là, ils étaient embarqués sur des bateaux à destination de la capitale. On trouve de nombreuses traces du remblai de cette voie ferrée, ainsi qu’un départ de pont maçonné le long de son ancien tracé dans la parcelle n° 546.

Le déclin

Toujours à la pointe des révoltes ouvrières au cours des âges, notamment, peu après la révolution de 1830, les carriers ont été le fer de lance de l’insurrection de Fontainebleau, lors de la révolution de février 1848.

En 1848, Paris décida de se fournir en pavés produits dans sa proche banlieue Sud, ainsi que dans les Ardennes françaises et belges ; ce qui eut pour résultat de diminuer fortement la production belifontaine. Cette diminution de la production, en plus de la forte concurrence du grès des Ardennes, réputé plus résistant, et du granit (ou granite) de Bretagne, entraîna dans les années 1880, la fermeture de bon nombre d'exploitations. Enfin, dès 1850, l’utilisation de l’asphalte pour le recouvrement des chaussées sonne le glas de l'industrie des carriers.


Les plaintes incessantes contre l’exploitation du grès déposées par les peintres de Barbizon, des artistes, puis des premières associations de protection des massifs rocheux et de sa forêt, finirent par décider les autorités locales à interdire par un arrêté publié en 1907, l’extraction du grès dans tous les massifs du domaine de l'ancien bornage Royal. La poursuite du commerce de la pierre fut encore autorisée dans les parcelles privées situées autour des Trois Pignons, du Coquibus et de la plaine de Chanfroy. Mais un arrêté de 1982 interdit définitivement toute exploitation en ses nouvelles limites domaniales, rachetées par expropriation des propriétaires locaux, ou récupérées à l'Armée. La dernière carrière, située au Coquibus, ferma définitivement en 1983. Une carrière a cependant été ouverte en 1987 sur le territoire de la commune de Moigny-sur-Ecole et deux autres étaient encore en fonction il y a quelques décennie en Essonne du coté de Videlles les roches.



Un métier rude avec une espérance de vie courte !

Si quelques forçats ont bien œuvré sur des chantiers de taille de la pierre en forêt de Fontainebleau ; et notamment dans les environs de la plaine de Chanfroy et autour du Long Rocher, le métier de carrier est plutôt une véritable profession...

La technique consistait principalement à enfoncer des coins de bois dans des interstices naturels (les sillons) ou ébauchés à l'aide d'outils, dans le banc de grès à découper. Ils devaient ensuite être mouillés constamment, afin qu'ils gonflent et finissent par la faire éclater en gros blocs, appelés "mortaises" ou "boites à coins". À l'aide de masses et de coins en fer, ces mortaises étaient ensuite transformées en sections plus petites, pour être finalement débitées, soit en pavés, bordures de trottoirs ou en éléments pour la construction.






 1 3


1 : Finition d'un pavé au ciseau dans un baquet rempli de sable, afin d'amortir les chocs 2 : Division d'un gros bloc de grès 3 : Creusement d'un trou à l'aide d'une barre à mine frappée à la masse, afin d'y placer de l'explosif pour faire éclater la roche

À la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe siècle, cette méthode fut remplacée par une autre plus rapide, qui consistait au remplacement des coins de bois par l’utilisation de grosses masses en fer tenues à deux mains, qui frappaient de gros coins métalliques en appui sur la roche. Un ouvrier aguerri pouvait débiter plus de 12 000 pavés par an.




 3 et 4 : Barres à languettes (ou coins éclateurs) Photos : Th. Szubert

Il y a peu dans un abris bien caché, on trouvait encore des outils...

A partir du XIXe, au Rocher du Long Boyau, du Cuvier Châtillon et au Mont Saint-Germain, les grandes entreprises utilisèrent des explosifs en barres (poudre noire) afin de pouvoir arracher de gros blocs de grès aux fronts de tailles. Les ouvriers pratiquaient des trous cylindriques de trois à quatre centimètres de diamètre, sur une profondeur de trois à quatre mètres dans la roche avec des barres à mines. Puis on y insérait l'explosif muni d'une mèche longue. On complétait le bouchage du trou à l'aide de bourres et de silice. On allumait ensuite la mèche pour faire éclater la roche. Plus tard, l'utilisation d'explosifs se généralisa sur les parties du massif forestier encore autorisées à l'exploitation des carrières.





La vie des carriers était particulièrement difficile, ces hommes travaillaient jusqu’à 14 heures par jour, six jours par semaine, d’un labeur particulièrement harassant et pour un salaire de misère. Pauvres parmi les pauvres, vivant en marge de la société, ces malheureux, souvent alcoolisés étaient, au bout de quelques années passées sur les chantiers, atteints par la silicose, causée ici par la poussière de grès accumulée durant des années dans leurs poumons lors de l’extraction de la roche. Leur espérance de vie dépassait rarement les 45 ans ; alors qu'elle se situait autour de 60 ans pour d'autres professions à la même époque.





Il existait également une autre catégorie d'ouvriers, celle des saisonniers. Il s'agissait soit : de paysans de la région, qui travaillaient dans les carrières en période de saison morte à la ferme. Ces fermiers pouvaient quelquefois être les propriétaires des terrains exploités. Soit : des Cheminots ou vagabonds de passage, qui louaient leurs bras pour quelques semaines ou quelques mois dans les exploitations de la pierre de grès.
Au cours des années 1920, devant la pénurie de main d'œuvre autochtone dans les zones encore autorisées pour l'extraction du grès, les entrepreneurs, pour compenser le manque de personnels, durent engager de nombreux travailleurs issus de l'immigration, et presque essentiellement des italiens fuyant le régime fasciste de leur pays.


Sur leurs chantiers, les carriers devaient la plupart du temps fournir leur propre matériel pour la taille. Ces outils indispensables à l’exercice de leur profession, étaient leurs biens les plus précieux. L’achat d’une seule masse neuve équivalait à près de deux semaines du salaire moyen d'un ouvrier dans les années 1850. Aussi, après leur labeur, beaucoup d'ouvriers laissaient leur outillage -trop lourd à porter- en le cachant sur place dans de petits abris creusés à cet effet. Mais malgré ces précautions, les vols d’outils dans les chantiers n’étaient pas rares à cette époque, comme l’attestent les nombreux procès verbaux de plaintes déposées à ce sujet.




Je reviendrai sur ce sujet longuement dans le livre à paraître en 2016...

Les abris et bivouacs de Fontainebleau : un patrimoine historique menacé !

Après l'article de la TL2B sur les carrières et les carriers de Bleau, il nous faut évoquer le patrimoine qu'ils ont laissé derrière eux et tout particulièrement les abris.

On en profitera pour parler aussi (un peu) des bivouacs des randonneurs et alpinistes mais rappelons dès maintenant, que ces lieux sont aussi fragiles que dangereux.

Nous ne donnons pas leur localisation afin d'éviter toute dégradation ultérieure. Merci de les respecter...

Sur les lieux de leurs chantiers, les carriers se construisaient des cahutes en pierre ou en bois. Si celles en bois ont toutes disparues, les abris de pierres sont encore bien visibles. Ils pouvaient avoir différentes formes, suivant la fonction que l’on voulait leur donner.



On peut trouver trois types de constructions sur les sites :

- les abris sous roche non fermés, (type auvents),

- les abris sous roche fermés de repos,

- les loges pour longs séjours.

Photo de Thierry Szubert
La plupart du temps, l'espace de vie dans ces "habitations" est assez petit et bas, afin de permettre de réduire l'espace à chauffer. Il faut noter que beaucoup d'abris avaient leurs ouvertures situées sur les versants des platières et des massifs rocheux le plus exposé au soleil. Si certaines loges ont des entrées étroites ou des couloirs d'accès difficiles, cela permettait sans doute de protéger le logis des visites impromptues de sangliers et de protéger l'huis des bourrasques de vent.

Dans de nombreux abris, l'on peut voir des gravures, des dessins et des peintures sur leurs parois. Il s'agit de représentations plus ou moins allégoriques : humaines, animales et autres, ainsi que des signatures, dates, petits écrits, moult figures et signes énigmatiques. Si certaines de ces représentations ont été réalisées par des carriers, la majeure partie d'entre elles ont été faites par des professionnels de la forêt et des "touristes" ; dont bon nombre postérieurement à l'époque d'exploitation des carrières.

Dans certains abris cachés et bien conservés ont trouve encore des outils semblant attendre le retour des ouvriers !

Après la fermeture des carrières, les abris, abandonnés par leurs anciens occupants, tombèrent rapidement en ruines, faute d’entretien et à cause du vandalisme. Bon nombres de ces abris furent ensuite transformés et occupés par les randonneurs et grimpeurs jusqu'à l'interdiction des bivouacs en 1942 par l'occupant. Au fil du temps, certains de ces abris étaient devenus de véritables "résidences secondaires", qui possédaient -outre des cheminées- des portes ouvragées avec serrures, (quelquefois fermées à clef), des fenêtres, dont certaines étaient munies de vitres et de volets, ainsi que du mobilier intérieur. L'alimentation en eau pouvait être assurée par des systèmes de récupération des eaux de pluie.


 Le Bivouac vert en 2015 possède encore ces fenêtres. Merci de ne pas les casser !




Dans les Trois pignons, après le rachat par l'état des anciennes propriétés privées, nombre de ces habitations sauvages devenues "illégales", furent détruites sur demande des autorités.

Certains abris présentent effectivement de gros risques d’effondrement sur leurs visiteurs ! 
Ainsi, les bivouacs connus de tous comme ceux du Potala, du Diplodocus ou du Rocher Cailleau, présentent tous des cheminées très instables dont nous recommandons l'élimination. D'ailleurs l’ONF a murer certains bivouac (comme à l’Ouest de Bourron-Marlotte ou Larchant), pour "éviter les accidents et les incendies éventuels" que pourraient provoquer une occupation par des "campeurs".

Exemples au Rocher du Potala

Bivouac simple sous rocher avec cheminée
L'entrée
C'est bas de plafond mais suffisant (l'âtre au fond)
Gravures modernes...
Le grand bivouac est sale et dangereux
Étagères, au fond la couchette à droite ce fut l'âtre
Ces mêmes bivouacs lors de leur saccage en 1995
Ils avaient quand même bien organisé la chose !


Certains bivouacs, bien cachés, restent fréquentables et préservés grâce à quelques grimpeurs, randonneurs, et autres passionnés, qui restaurent et entretiennent ces témoins d’un passé au fond pas si lointain. 

Selon les sources, resterait entre 140 et 200 de ces refuges encore en bon état aujourd’hui dans tout le massif forestier… Heureusement mais comptez pas sur nous pour vous donner leur localisation !

Architecture :


Les simples abris sous roches (ou auvents) :


Ils étaient utilisés pour se protéger de la chaleur ou de la pluie, ranger les outils, et mettre la nourriture et les réserves d’eau au frais pendant la journée de travail. Le plus souvent, ils sont construits sous un auvent naturel formé par un amas de rochers mais peuvent avoir fait l'objet d'une petite excavation et d'aménagements simples comme des marches, ou un murets partiels.

Nous avions présenté sur la TL2B un exemple de ces abris qui semblait avoir été aménagé pour les besoins de la forge.

Les petits abris de repos :


Ils sont construits sous roche, ou bâtis en murs, (voire sous tumulus). Ils sont généralement étroits et bas de plafonds n'étant destinés qu'à abriter les carriers pour le "casse-croûte" et les pauses notamment en hiver. Ils pouvaient être ouverts sur un côté ou bien fermés par des portes. Ils étaient conçus pour abriter de deux à quatre personnes, qui se tenaient assises sur un banc en bois ou en pierre. Ils sont le plus souvent équipés d'une cheminée (souvent minuscules) situées au niveau du sol, et quelquefois à hauteur des genoux ou des épaules des personnes assises. Certains possédaient des niches pour le rangement.


Les abris habitables (ou loges) :


Lorsque la "veine d’exploitation" se trouvait trop éloignée du lieu de leur domicile, les carriers construisaient des édifices plus élaborés, qui permettaient une occupation permanente pour un séjour plus ou moins long. Ils possédaient une porte, voire des fenêtres, et possédaient, bien entendu, une cheminée, des niches pour le rangement, un ou plusieurs bas flancs en bois ou bien en pierre pour le couchage. Certains couchages sont par ailleurs assez élaborés, remplis de sable, couverts de fougères. Le sol pouvait -pour plus de confort- être dallé, planché, paillassé ou recouvert d'humus...


Thierry Szubert, l'un des meilleurs spécialistes des carrières et des abris de carriers de la forêt de Fontainebleau, a aussi découvert les vestiges de grands abris de forme rectangulaire et de plusieurs mètres de longueur (jusqu'à quatre mètres). Ces abris étaient en partie creusés dans le sol et montés en pavés sans liants. Il les a baptisés "cantines", car selon lui, il semblerait que de part leurs surfaces importantes et leurs situations, ils devaient être utilisés pour la prise de repas en commun de plusieurs ouvriers et pour des réunions de travail ou bien encore à l'occasion de grands événements comme la fête de Saint-Roch. Un constatation faite également près d'anciennes carrières de grès de la vallée de l'Essonne et dans la Vallée de Chevreuse.

Carrière. À gauche, grande cabane construite avec des pavés -d'apparence- cimentés. Peut-être une "cantine"

Thierry Szubert
On peut aussi voir, ça et là, des ruines de cabanes de forme carrée, rectangulaire ou arrondie, construites intégralement en murs ou en appui contre un rocher. Les murs, étaient faits de pavés empilés les uns sur les autres et non maçonnés. Ces petites constructions pouvaient être enterrées jusqu'à la hauteur de la toiture, aux trois quarts, à moitié ou édifiées au niveau du sol, sans aucune fondation. Les toitures devaient être faites de chaume, de tôle, de planches, de toile goudronnée. La plupart de ces abris, de par leur fragilité, due au non maçonnage, n’existent plus qu’à l’état de vestiges plus ou moins visibles ; sauf pour quelques rares exemplaires, qui ont été remontés par des bénévoles. Certains d'entre eux qui se trouvait au Rocher Fourceau ont été massacrés par les engins forestiers lors de la coupe qui suivit l'incendie. un sujet que nous avions abordé dans cet article.

Enfin, certains abris étaient creusés dans la terre et recouverts par un tumulus, formé d’un mélange de sable, de caillasse et de terre, enrobant une ossature faite de pavés montés en dôme. Ce type d'abri possédait un étroit couloir d'accès extérieur, qui s'enfonçait jusqu'à l'entrée souterraine de la chambre. Ce passage était protégé de chaque côté, par un muret de soutènement. D'autres abris étaient constitués autour d’une avancée de roche ou creusés dans la roche elle même, qui faisait office de toit, et murés de pavés sur les faces ouvertes. ils pouvaient également être creusés dans le sable, sous une veine, avec souvent des marches d’escaliers pour pénétrer dans la chambre.


Tunnel avec grande cheminée à droite
Photo de Thierry Szubert


Gestion de l'eau

Dans les anciens chantiers, au détour d'un rocher, on peut rencontrer des sortes de marmites creusées dans la roche. L'eau étant assez rare dans les massifs de Fontainebleau, les ouvriers creusaient des vasques destinées à recevoir l'eau pluviale, qui leur servait ainsi de réserve. On peut en trouver d'assez profondes.


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Pour la forge



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1 et 2 : Vasques creusées dans la roche

3 : Vasque avec bouchon d'évacuation4 : détail du bouchon

5 : Réservoir d'eau taillé dans un bloc de grès ; peut-être utilisé par le forgeron du chantier pour refroidir les outils travaillés à la forge


Nous vous invitons à préserver ce patrimoine et à signaler vos découvertes à l'AAFF dont la commission carrière a ouvert un blog en 2012 qui semble enfin s'alimenter de nouveaux articles ! Merci les amis parce qu'on avait hâte d'en savoir un peu plus !